Porca miseria

Tonino Benacquista
21 janvier 2024 par
Le blog du Moineau, Marie
| Aucun commentaire pour l'instant

​J'aime beaucoup lire et j'ai la petite manie (toute mignonne !) de noter dans des carnets ou des documents Word, des citations ou des passages de livre qui m'ont inspirée, questionnée, fait réfléchir, qui ont touché quelque chose d'ineffable en moi ou m'ont encouragée lorsque je doutais... Cette petite fulgurance quand vous lisez quelque chose, alors qu'a priori, vous ne vous attendiez pas à faire de "rencontres"... Et tout d'un coup c'est là, sous vos yeux, ça vous donne des frissons, ça vous touche au plus profond de votre cœur, c'est comme si ce passage vous attendait, qu'il avait été écrit pour vous... Oui, rien que ça.

​Bref, ça n'arrive pas tout le temps, je vous l'accorde, mais quand ça arrive, c'est beau. Et la Beauté, et bien, c'est ce que j'ai trouvé de mieux pour me donner du baume à l'âme et au cœur.

​Aujourd'hui, je partage avec vous l'une de ces "rencontres" que j'ai faites récemment en lisant "Porca miseria" de Tonino Benacquista. Je vous le recommande, c'est une écriture à la fois élégante et sobre, qui n'a pas besoin d'en faire des tonnes pour vous épater. 

Voici le passage :

« Ministre ou cantonnier ?

​Un matin, on rassemble tous les élèves de troisième dans la cour. Il y a du militaire dans la manœuvre. Monsieur le Principal, obéissant à on ne sait quelle directive de son ministère, nous met en garde sur les choix d’orientation que nous aurons à faire en fin d’année : toute filière non scientifique est vouée au chômage, a fortiori les sections littéraires, des « voies de garage », expression que je découvre.

​Du haut de nos treize ans, il va falloir choisir : ministre ou cantonnier ? Neurochirurgien ou camelot ? Clerc de notaire ou poète ? L’épée de Damoclès est désormais suspendue au-dessus de notre tête, à nous autres fâchés avec l’algèbre, nous voilà prévenus. J’en vois trembler dans les rangs. Moi qui manifeste de belles dispositions à l’inquiétude, je me sens ici étrangement serein. Hier, j’ai cessé de craindre l’avenir, les institutions, le monde du travail et ses compétitions, le chômage et ses misères. Quoi qu’en pense Monsieur le Principal, je vais évidemment choisir une voie de garage où, avec d’autres, inaptes à devenir maîtres du monde, nous formerons un joyeux club de losers. J’obtiendrai ce baccalauréat même si personne ne l’attend chez moi, je le dois à ma sœur Anna, qui l’aurait décroché avec deux ans d’avance si on l’avait laissé faire. Je le dois avant tout à la communale, qui m’a accueilli sur ses bancs en faisant preuve d’une patience illimitée à mon égard. La suite m’appartient. Faut‑il avoir un père qui récite les vers du Cid et une sœur en hypokhâgne pour persister dans l’idée folle de vivre un jour de son écriture ? Si je ne m’en donne pas l’autorisation, qui le fera ? Qu’on me laisse me casser les dents sur le réel, que je compte justement subvertir et transfigurer. Les premiers mots du matin seront : Il était une fois. »

 (Porca miseria, Tonino Benacquista, p.122-123)

Le blog du Moineau, Marie 21 janvier 2024
Partager cet article
Archiver
Se connecter pour laisser un commentaire.