Octobre 2019.
Je me rappelle parfaitement le moment où j’ai senti mon cerveau « lâcher » pour la première fois. Je me rappelle cette sensation de vide en moi, la compression de mon cœur et l’impression que quelque chose « décroche » là-haut. Un court-circuit pour éviter le crash. Une alerte rouge.
Tout ça à cause (grâce ?) à une énième amourette foireuse. Le raz‑de‑marée ne s’est pas fait attendre. Il n’en voulait qu’après mon cul sans doute, je ne le saurais jamais, puisque celui-là, il ne l’aura pas eu. D’ailleurs, ce n’est pas lui personnellement, c’est plutôt l’accumulation. L’accumulation d’espoirs, d’attentes (démesurées sans doute - ou pas), d’amoureux « tout feu tout flammes » qui n’en étaient pas en fait, de mauvaises décisions prises sur fond de manque de confiance en moi, et même, manque de respect pour moi - tant pour ce qui est beau et rayonne chez moi que pour ce qui hurle de douleur. Tout le monde fait comme ça, et alors ? J’aurais pu attendre. J’aurais pu dire non. J’aurais pu, j’aurais pu, j’aurais pu… quoi ? Je faisais de mon mieux, avec mon niveau de connaissance du moment, c’est tout.
Bref, c’est ainsi que ça a commencé. Je suis finalement descendu assez rapidement au fond du trou mais il faut dire que la piste avait été bien huilée avant. Bien sûr, on ne s’en rend pas compte, on trouve toujours une bonne raison à ce mal-être grandissant qui nous aspire petit à petit : la fatigue, le travail... C’est classique. Et après trois ans de traitement, avec un amoureux digne de ce nom à mes côtés et une nouvelle voie professionnelle bien définie, je pensais m’en être sortie, je pensais commencer à vivre, enfin.

Septembre 2022.
Mais au moment où mon projet de reconversion comme soignante était bien ficelé, au moment où j’allais signer le CDI et commencer la formation… Ça a recommencé… mais sous une autre forme. Je faisais de plus en plus les choses mécaniquement, je disais ce que je pensais qu’on attendait de moi tout en sentant ce mal-être croître à l’intérieur. Comme une petite voix qui disait : « ce n’est pas pour toi ». J’ai senti le crash arriver mais c’était déjà trop tard, la chute était amorcée. Et, passée la dégringolade, de nouveau ce grand vide qui aspire tout : l’envie, l’élan pour la vie, la joie, l’espérance… J’avais l’impression d’être vidée de que ce qui constituait ma sève, mon essence. Et ce retour cuisant à la case départ : qui je suis et à qu’est-ce que je vais faire de ma vie ?
Il faut souvent du temps pour admettre qu’on ne va pas bien, qu’on a besoin d’aide ou que l’on s’est trompé… Comment oser reconnaître que l’on s’est trompé et tout remettre en question dans une société, voire une culture, qui pointe du doigt la moindre erreur, diabolise l’échec et stigmatise le malheur ? Je n’accuse pas la société de tous mes maux, je reconnais mes responsabilités : c’est souvent le manque de confiance en moi qui me mène à l’auto-sabotage. Mais je ressens quand même les injonctions sociales très fortement et j’ai du mal à en faire totalement fi.
Cependant, aujourd’hui, j’arrive à me poser cette question : qui juge vraiment mes actions et mes choix ? Existent-elles vraiment, ces petites ombres tapies dans la mienne, prêtes à dégainer leur verve moralisatrice lorsque j’ai un choix à faire ? En réalité, je me suis aperçue (après coup, car c’est toujours plus facile avec du recul) que, lorsque j’ai très peur du jugement de quelqu’un, bien souvent, c’est à mes propres yeux que j’ai le plus peur de perdre de la valeur.
Ce monstre, d’aspect moins effrayant, n’en est pas moins un sacré boulet à traîner au quotidien. Mais le côté positif, c’est que maintenant, j’ai conscience de tout ça. Je peux donc agir et essayer de modifier mon système de « pensées automatiques » qui me tire vers la tristesse. La plupart du temps, j’ai l’impression de ne pas y arriver. Mais je sens que l’engrenage commence à se gripper par moment. C'est presque imperceptible, mais c'est là.
Dompter ce monstre-là prendra du temps. Dompter n’est d’ailleurs pas le mot adéquat, car il exprime une contrainte et une certaine violence. Je ne veux plus de cette violence envers moi-même. Alors je dirais plutôt « apprivoiser ». Oui, apprivoiser le monstre et même, en faire un allié, le transformer en une force amie pour me propulser vers… la vie, tout simplement.
Si vous avez vu le film d'animation "Dragons", ça vous rappellera sûrement quelqu'un 😉
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Les Monstres II