Les Monstres I

Violence et renaissance
20 novembre 2023 par
Le blog du Moineau, Marie
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« Quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans le combat, à ne pas devenir monstre lui-même. Et quant à celui qui scrute le fond de l'abysse, l'abysse le scrute à son tour. » - Nietzsche 

Qu’est-ce qui nous vient à l’esprit lorsqu’on parle de monstres ? Souvent une chose ou une créature terrifiante, par son aspect ou ses « attributs » surnaturels. Si l’on cherche la définition de ce terme en restant dans le domaine imaginaire, voici ce que l’on peut trouver : « créature légendaire, mythique, dont le corps est composé d'éléments disparates empruntés à différents êtres réels, et qui est remarquable par la terreur qu'elle inspire. » (Source : CNRTL, II). Un monstre est donc un « amas » de choses, qui, a priori, ne sont pas faites pour aller ensemble. Une créature effrayante qu’il est difficile de catégoriser, dont l’origine est obscure et/ou complexe. Je retiens donc de cette définition deux attributs principaux : un monstre provoque la peur et est constitué de plusieurs éléments, pas nécessairement cohérents entre eux. 

​Personnellement, la première représentation de monstre qui me vient à l’esprit est la sorcière de Blanche-Neige. Quand j’étais enfant, ce personnage me terrifiait littéralement. Encore aujourd’hui, me la remémorer crée en moi un certain malaise. D’autres monstres sont ensuite venus peupler mon imaginaire comme : Kaa le serpent de Mowgli, Sleepy Hollow le cavalier sans tête, le kraken de Pirates des Caraïbes, et j’en passe et des meilleurs.


Image extraite du film Pirates des Caraïbes 2

 Et puis, d’autres sortes de monstres ont fait leur apparition dans ma vie. Des monstres beaucoup plus terrifiants, car à la fois beaucoup plus réels et insoupçonnés.

​Le terme de monstre est ce qui me vient immédiatement à l’esprit quand je suis amenée à évoquer les attouchements que j’ai subis quand j’étais adolescente, dans le sens que mon agresseur a laissé en moi une sensation qui à la fois me terrorise et me répugne. Et que je ne comprends pas ce qui l’a poussé à mal agir comme ça avec moi. À partir de ce moment‑là, c’est comme s’il avait une sorte de pouvoir sur moi tant son acte a eu des répercussions sur ma vie, des répercussions dont je soupçonnais à peine l’effet dévastateur jusqu’à récemment. Je refusais que ça m’ait atteint à ce point, je pensais que ça ne faisait qu’amplifier son pouvoir. Je ne voulais pas lui donner ça en plus de ce qu’il m’avait déjà pris. Je voulais oublier et vivre ma vie librement.

​Il se trouve que j’ai failli oublier. Au bout de quelques années, j’ai presque réussi à douter que ça se soit réellement passé. Ça, c’est ce qui se passait dans ma tête. Car mon corps lui, me faisait clairement comprendre qu’il n’était pas près d’oublier. À ce moment de ma vie, je sentais clairement une rupture entre mon mental et mes sensations physiques. Comme si les deux étaient désaccordés, ne travaillaient plus ensemble. 

​J’ai mis 4 ans pour aborder le sujet avec une psychologue. C’est elle qui a qualifié ce qui s’est passé d’attouchements. Moi je ne savais pas. Je savais que j’étais mal, que ce qui c’était passé n’aurait pas dû se passer, mais j’étais bien incapable de mettre un mot dessus. J’ai mis 14 ans à en parler ouvertement à mes proches. Et j’ai mis 18 ans à porter plainte. F*ck la prescription, ce qui comptait, c’était de briser le silence sur ce que j’avais vécu. Un silence, triste histoire bien connue aujourd’hui, pour cacher la honte, parce que je doutais, parce que « tu avais 16 ans… » (sous-entendu, j’ai exagéré ?) ou encore parce que « tu n’avais qu’à le pousser ». Les guillemets rapportent des paroles qui m’ont été dites par des personnes proches avec lesquelles j’avais osé évoquer mon mal-être.

​Porter plainte a été une véritable épreuve, tant raconter ce qui s’est passé, même 18 ans après, me plonge dans un état impressionnant de trouble et d’anxiété. Je transpire, je pleure, j’ai le souffle court, les sensations des attouchements se réactivent en moi, je revis tout… Je remercie le gendarme qui a pris ma plainte pour son professionnalisme et sa bienveillance et je remercie la personne qui m’a accompagnée à la gendarmerie. Sans eux, j’aurais pas pu aller au bout du processus.

​Après ça, j’ai ressenti un grand soulagement, mental et physique. Pour autant, ça n’a pas « classé » en moi ce qui s’est passé. J’y pense toujours. L’angoisse est toujours là, la peur de revivre ça aussi. Un long chemin me reste encore à faire. 

​Mais je le continue en ayant rompu le silence. En ayant affronté ce monstre-là.


Le blog du Moineau, Marie 20 novembre 2023
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