Assise à la table d’un café, vêtue d’une robe-pull noire, de collants noirs transparents, et des bottines noires à talon et un bonnet qui couvre partiellement une coupe de cheveux carrée, plutôt courte, avec une frange. Le regard perdu à travers la vitre, qui ne fixe rien et capte tout en même temps.
Les mains sur une tasse bouillante de thé ou de chocolat chaud. L’air légèrement absent de celle qui n’est pressée par rien. Pas d’enfants à aller chercher à l’école - alors qu’elle est à l'âge où normalement on en a ou du moins, on en veut - pas de maison à récurer, pas de conjoint-boulet à s’occuper. Pas de plan de carrière à construire ou de manigances pour satisfaire tel ou tel désir éphémère. Juste elle, et un temps infini, qui lui semble s’étirer à mesure que la pluie persiste. Car oui, il pleut, il fait frais, c’est l’automne, on est bien - n’en déplaisent aux accros au soleil.
Son esprit cherche un échappatoire, il veut remonter dans la roue à hamster, mais se heurte en partie à cet état de perception aiguisée conjugué à des rêveries qu’elle veut spontanées. C’est un état qu’elle recherche, non par des actions précises mais par des moments qui y sont consacrés. Non par vanité, mais par nécessité. Car elle sait bien que sans vide, sans pause, sans conscience de la vie concrète, sans perception aiguë de la matière, pas de création, pas de créativité, pas d’écriture, pas de belles idées, pas de beaux moments, pas de vie.

Un temps qui lui semble s’étirer, alors que celui des gens dehors semble leur échapper. S’ils la regardaient, ils auraient l’impression de visionner un film qu’on fait défiler au ralenti pour capter un moment précis. C’est frappant, cette différence : elle dedans, eux dehors, elle ailleurs, eux ici, elle si lente, eux si rapides, elle qui tente de s'installer, eux qui partent, elle qui ralentit volontairement, eux qui courent sans s’en rendre compte. L’inverse est aussi parfois vrai.
Prendre le temps, ne pas se sentir pressée, s’installer dans sa propre peau, c’est un art et un luxe. C’est un droit qu’il faut prendre, arracher, si besoin, aux mains du système capitaliste actuel.
L’ordinateur portable est devant elle, ses bras ouverts aux mots qui commencent à se frayer un chemin de son inconscient à son conscient. Une idée commence à germer, puis deux, puis trois. De nouvelles connexions neuronales se font. Elle peut presque les sentir au bout de ses doigts, ces idées, ces phrases, ces axiomes qui viennent dire sa vérité et sa subjectivité à travers ses mains qui remuent, se lèvent et restent une petite seconde suspendues au-dessus du clavier.
Et puis, le moment de grâce arrive : ça y est, j’écris.
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Un moment suspendu